par © Gil Chauveau 17/03/2000

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"RETOUR SUR MA SCENE INTERIEURE..."

"Théâtres" d'Olivier Py.

Vu le jeudi 24 février 2000

"Théâtres", au pluriel, c'est un titre ambitieux, ça m'a fait un peu peur. J'avais peur qu'on m'explique plein de choses sur le théâtre, pendant une longue soirée d'étude. Mais il y avait Olivier Py dont j'aime la fougue festive de "Cabaret", la totale nécessité qui le mène à produire des spectacles comme "Requiem à Sebrenitza". Il y avait Philippe Demarle, un prince, un ange fragile et violent. Et il y avait Michel Raskine, dont j'avais vu "La maison d'os", un spectacle d'école magnifique. Le total promettait, donc. Il s'annonce dès l'entrée en salle comme un spectacle "sur" le théâtre : un buste de Molière, des marquages au sol, les techniciens sont sur le plateau, un drap fait le rideau de scène, "théâtre" écrit dans un néon très théâtre privé (je crois que le "s" du titre est mis à l'écart sur un côté de la scène). Ca tient à la fois de la baraque de foire (ce qui n'est pas facile à suggérer dans la salle hyper aseptisée des Abesses) et d'une sorte de rébus riche de sens.

Arrive Demarle, dans un rond de lumière de cabaret, qui nous raconte le théâtre, l'illusion. Son personnage, c'est l'auteur et "Théâtres" est le "simulacre" du dernier rêve d'un homme poignardé dans une obscure ruelle de province. De rêve en rêve et de scène en scène, à travers l'enfance de l'auteur, sa relation à son père, à sa mère, c'est l'histoire d'une génération marquée du lourd silence des adultes autour de la guerre d'Algérie qui est dépeinte de l'intérieur. L'autobiographie impudique d'Olivier Py explore les noeuds qui relient une société sourde et criminelle, un corps automutilé, une démarche artistique tâtonnante à travers l'écriture et le théâtre. On pense à Lagarce, qui mêlait inlassablement l'expérience vécue, sa remémoration, sa réécriture, sa représentation, comme des reflets fragmentés d'une même réalité fondamentale, volatile, impossible à appréhender, et qui serait la vie même. Sauf que Lagarce, avec une pudeur extrême, s'arrêtait toujours à mi-chemin, sur un silence ou sur un rire, recréant sur scène cette sensation d'infranchissable solitude, qu'on ressent parfois auprès d'un proche dont on se dit qu'on ne sait finalement pas grand-chose. Py, lui, parle énormément, analyse, revendique, se bat avec une coulée pléthorique de mots, nous explique sa passion du verbe, parfois bien plus qu'il ne nous la communique. Et, dans l'explication, Raskine et Demarle en rajoutent une bonne couche bien didactique ! Des fois qu'on se perdrait dans ces phrases virtuoses.

Au milieu de tout cela, c'est toute une riche galerie de symboles baroques qui s'entrechoquent de tableau en tableau - du sang qui coule chaque soir de la même plaie, un manuscrit effacé, un bourreau (très cuir), un grand bouc païen (un beau masque, qui frappe l'esprit, la réussite plastique du spectacle)... Quelques mots plus calmes clôturent la soirée et la vie du personnage, quelques émotions simples, un café sur une terrasse, la sensation d'être un homme parmi les hommes, une drôle de petite liste de choses "non représentables", quelques mots sur "la part irréductible de la foi" d'une confondante vérité, et que tous les tâtonnements d'avant - le spectacle, ou l'expérience de la vie elle-même - n'auront peut-être servi qu'à préparer.
Jean-Christophe Blondel © La Revue du Spectacle 10/03/2000

"Théâtres" d'Olivier Py.
Mise en scène de Michel Raskine avec la collaboration de Mélanie Bestel, Thierry Gouin, Martial Jacquemet, Josy Lopez, Franck Morel et Gwenaël Morin.
Avec Philippe Demarle, Yves Ferry, Marief Guittier, Jean-Louis Delorme et Gwenaël Morin.
Jusqu'au 25 mars 2000 au Théâtre des Abbesses (Paris XVIIIe).
 Rens. : 01 42 74 22 77.