par © Gil Chauveau 20/09/99

  Retour
Sommaire
Général
Page Sommaire
Théâtre
  Retour
Chotteau
Balzac
  Pièces
à
l'Affiche




DEUX MONSTRES SUR UN SOMMET SUEDOIS
Ah ! Si nous pouvions assister à la rencontre au sommet entre ces deux personnages hors du commun que furent la reine Christine de Suède et Descartes...
Ce rêve est devenu réalité grâce à Jean-Marc Chotteau qui nous a concocté une superbe pièce tragi-comique : "Le jour où Descartes s'est enrhumé". Sans tomber dans la reconstitution historique ou l'affrontement philosophique, il a su, en s'inspirant des écrits et de la correspondance de Descartes, créer une fable historique d'une densité et d'une vigueur assez rares. Le verbe est splendide et l'on se délecte des échanges entre cette jeune reine de 23 ans, impatiente, et le philosophe vieillissant et solitaire, peu enclin aux concessions, qui, dès les premières heures hivernales passées à Stockholm, s'enrhume.
Dans un contexte politique nourri de rumeurs et de complots, Descartes, considéré comme un catholique "libertin" (joyeux paradoxe !), va souffrir de l'implacable hiver suédois qui "gèle les pensées comme les fleuves..." et en mourir (le 11 février 1650, quelques mois après son arrivée).
Dès les premières répliques, on est surpris par l'actualité du propos et de la situation. Dans cette impossible relation entre les intellectuels et le pouvoir transparaît l'affrontement bien actuel entre l'obscurantisme, le fanatisme et les pensées humanistes et philosophiques défendant la tolérance et la différence. De plus, Jean-Marc Chotteau nous dépeint un Descartes qu'ignorent souvent les livres scolaires et qui écrivit aussi bien une étude sur le bon fonctionnement des cheminées qu'un "Traité des passions". Le portrait qu'il brosse de Christine, aux allures de garçon manqué qui revendique son célibat, soulève de nombreuses questions (iconoclastes au XVIIe siècle) sur le refus obstiné du mariage et l'appartenance à une religion.
Pour parachever l'indéniable qualité de ce spectacle, la pièce est interprétée avec talent et rigueur par des comédiens qui savent introduire la pointe d'humour et de légèreté nécessaire à l'assimilation d'un texte parfois d'une trop grande richesse. Mais est-ce là un défaut ?
Quant à Jean-Marc Chotteau et Olivia Willaumez, ils donnent aux deux rôles titres une telle présence et une telle hauteur qu'ils réussissent, sans faillir, à faire de ce spectacle un grand moment de théâtre.
Un rendez-vous avec l'intelligence à ne pas manquer !

A été joué jusqu'au 18 janvier 1998 au Théâtre 13 (Paris XIIIe).
"Le jour où Descartes s'est enrhumé", texte et mise en scène de Jean-Marc Chotteau,
assisté de Marie-Hélène Sarrazin.
Adaptation scénographique : Francis Obled et Thomas Sanchez.
Avec : Olivia Willaumez (Christine, reine de Suède), Jean-Marc Chotteau (Descartes), Charles-Antoine Decroix (Freinsheimius), Éric Leblanc (Weullenius) et Luc Samaille (Schluter).

Le texte de la pièce est publié aux éditions La Fontaine.

Gil Chauveau © La Revue du Spectacle 04/01/98