par © Milos Mistrik 02/12/99

  Retour
Sommaire
Général
Page Sommaire
Théâtre
  Page
Théâtre
Suivante
  Pièces
à
l'Affiche



LA MEMOIRE DU THEATRE SLOVAQUE
par Milos Mistrik, Kabinet divadla a filmu SAV, Dubravska cesta 9, 813 64 Bratislava, Slovaquie

Parler de la mémoire dans le contexte de l'art théâtral est une entreprise très risquée. Le spectacle est un phénomène passager, et une fois terminé, il n'en reste pratiquement rien. L'architecture crée la mémoire des villes et partout, dans tous les pays, il y a des souvenirs éparpillés témoignant de l'existence des civilisations anciennes, voire millénaires. Mais que reste-t-il du jeu d'un acteur ? Seulement l'ombre de son geste et l'écho des ses paroles. Quant aux pièces de musées se rapportant à l'histoire du théâtre, il en reste fort peu.
Ainsi, la mémoire du théâtre ne s'appuie que sur quelques éléments, elle est instable comme le rêve et elle est tributaire de l'interprétation de l'époque et de l'idéologie de l'histoire. Là, ou il n'y a pas de faits précis, naissent des suppositions et des constructions.

Et c'est ainsi, que la naissance du théâtre slovaque remonte a 1830, cette année-là fut enregistré le premier spectacle dans la ville de Liptovsky Svaty Mikulas. Sous la direction de Gaspar Fejerpataky-Belopotocky, les bourgeois et surtout les étudiants slovaques y ont représenté la comédie de l'auteur dramatique slovaque Jan Chalupka Kocurkovo (Trifouillis-les-Oies). Ce spectacle fut de leur part un acte culturel conscient. Cependant, cette date reste plutôt symbolique. Il se peut que ce soit la date à partir de laquelle se déroule l'histoire du théâtre amateur slovaque au XIXe siècle, mais ce n'est point le début de l'histoire du théâtre en Slovaquie.

Où commence l'histoire du théâtre slovaque ?

La mémoire de notre théâtre est une affaire beaucoup plus ancienne, elle remonte à une époque ou il y a très peu de traces sur les spectacles. Nous supposons que les premières manifestations théâtrales de l'ethnie slovaque remontent aux IXe et Xe siècles, à l'époque de l'Empire de la Grande Slovaquie que nos ancêtres avaient fondé à ce moment de l'histoire. Peut être ont-elles commence encore plus tôt, mais nous n'en avons pas de preuves directes. Seul quelqu'un de très naïf pourrait croire en l'existence d'un vieux costume, d'un masque ou d'un luth qui vibrait jadis entre les mains d'un comédien. Nous savons pourtant que le métier d'acteur existait déjà à ce moment de l'histoire et d'après d'anciens documents écrits, il y avait même un mot slovaque pour le désigner, igric, un mot qui correspondait au mot latin joculator. En témoigne le fait que, depuis cette époque, il existe un document mentionnant le nom du village slovaque Igram qui, suivant les habitudes de ce temps-là, désignait la profession des habitants du village. Mais restituer ce qui se passait pendant les spectacles, quels genres de bouffons y participaient, à partir de quels textes ils travaillaient, cela, personne ne pourra jamais le faire. N'oublions pas que nous ne parlons pas de l'époque de l'Antiquite grecque et romaine, mais de l'Europe médiévale ou les interdictions de l'église supprimaient l'activité théâtrale et ou les acteurs étaient des marginaux.

Les preuves indirectes de l'existence du théâtre à cette époque peuvent être complétées par l'analyse des rites populaires qui existent sporadiquement, même de nos jours, et qui ont leur origine dans les traditions païennes, telles les fêtes populaires liées à l'arrivée du printemps, la destruction de Morena (déesse de l'hiver), les fêtes célébrant la fertilité, les fêtes des vendanges, etc. Ces rites se manifestent encore aujourd'hui dans la tradition populaire et dans le folklore, et ils nous permettent de deviner quelles actions collectives nos ancêtres présentaient. Chez nous, le théâtre est né à l'époque du passage vers le christianisme, c'est à dire pendant l'existence de l'Empire de la Grande Slovaquie aux IXe et Xe siècles.
Depuis cette époque, notre pays n'est jamais resté sans théâtre, eut-il appartenu à quelque souverain qui fut. L'historiographie commettrait une erreur, si elle ne voulait pas situer la mémoire du théâtre slovaque dans cette période de l'histoire, de même si elle ne reconnaissait pas la tradition de la culture latine si typique du Moyen Age européen et qui, bien sur, existait même chez nous. Au Xe siècle et à travers les siècles suivants, nulle part en Europe, les langues nationales n'ont réussi a s'établir dans le domaine de la grande culture. C'est la culture latine qui prédominait un peu partout, y compris en Slovaquie.

Nous nous permettons donc d'intégrer aussi dans l'histoire du théâtre slovaque les pièces liturgiques écrites en latin, dont témoigne le Codex de Pray du XIIe au XIVe siècle, et les mystères qui furent joués sur le parvis des églises et sur les places des villes médiévales. A Bratislava, on a retrouvé un relevé numérique se rapportant a la représentation de la Passion en 1439. De la même époque provient une liste de la vieille ville de Bardejov qui contient les noms de 54 personnages dramatiques et les noms des bourgeois qui les jouaient. Nous mentionnerons également qu'en ce temps-là déjà, à ces représentations de masse se mêlait la langue du peuple, ici le slovaque et l'allemand, car ces deux ethnies étaient les plus importantes dans les villes slovaques.

Sans vouloir trop élargir ce voyage dans le temps, nous ne pouvons pas éviter de mentionner un détail : un important objet historique se rapportant au théâtre slovaque. Il s'agit d'un tombeau du Christ en bois, datant de la fin du XVe siècle, érigé en style gothique flamboyant qui provient du couvent de la ville de Svaty Benadik en Slovaquie centrale. Il a de petites roues, qui lui permettaient d'être poussé et de faire partie de l'action dans les représentations de la Passion. Il est complété par une statue de Christ, tout à fait particulière, parce qu'elle a des membres mobiles comme une marionnette. Ces membres mobiles permettaient aux acteurs d'enlever pendant le spectacle le corps du Christ de la croix et de le déposer au tombeau. Les bénédictins sont venus dans la ville de Svaty Benadik en 1075 ; ils appartenaient aux ordres qui organisaient régulièrement des jeux liturgiques. Ce merveilleux objet en bois taillé fut cependant transporté à la fin du XIXe siècle à Esztergom. Malheureusement, il demeure en Hongrie encore aujourd'hui.

Dans notre recherche sur l'évolution du théâtre slovaque, nous ne pouvons nous appuyer que sur quelques faits et de rares documents. Son étude devient encore plus compliquée, si l'on regarde le paysage politique de cette époque. Tandis que certaines nations, plus heureuses que les Slovaques, se créaient leur Etat national, les Slovaques, bien qu'ayant développé un certain sentiment national, restaient intégrés dans la Hongrie et dans la monarchie habsbourgeoise. C'est pour cela que les influences politiques y étaient très diverses et changeantes. Après la langue d'origine, le vieux slovaque de la Grande Slovaquie, vint le latin, plus tard, pendant plusieurs siècles, l'allemand, le tchèque biblique et le hongrois. Ainsi, la langue littéraire de la nation opprimée ne put s'imposer qu'à partir de la fin du XVIIIe siècle.
Plusieurs érudits slovaques renforcèrent par leurs oeuvres la culture des nations voisines. Pavel Kyrmezer est devenu au XVIe siècle le fondateur du drame tchèque, il en fut de même pour Juraj Tesak Mosovsky au XVIIe siècle. Le premier opéra polonais fut écrit au XVIIIe siècle par un Slovaque, Matej Kamensky.

Le protestantisme apporta en Slovaquie la tradition allemande des jeux scolaires, qui ne furent plus joués sur les places publiques. Ce n'étaient plus des spectacles de grande ampleur, avec le décor multiple juxtaposant sur la scène diverses mansions et joues sur de hauts podiums, mais des spectacles dans des salles de classe, représentés par des élèves pour un public choisi. Ce furent les jésuites qui encouragèrent le plus le développement du théâtre. Ils donnèrent leurs spectacles en latin, mais, avec le souci d'influencer le public, ils ne s'opposèrent même pas à la langue du peuple, c'est à dire au slovaque. Conformément a leur mission, ils apportèrent au XVIIe siècle en Slovaquie une vie théâtrale riche, non seulement par la fréquence des représentations - les documents mentionnent près de 10 000 pièces en 170 ans - , mais également au niveau du décor, des effets scéniques et du caractère solennel des représentations. A partir de cela, ils poursuivaient un but bien précis qui fut celui de renforcer le sentiment religieux des spectateurs.

Il serait souhaitable que cette courte esquisse puisse mettre en évidence le fait que le théâtre slovaque, qui commença à être joué en 1830 dans la ville de Liptovsky Svaty Mikulas, n'était pas ne de rien, bien au contraire, car il représente une fleur supplémentaire sur la branche d'une tradition théâtrale séculaire. Le fait que ce soit justement lui qui ait souligne le caractère slovaque au sens nouveau du terme, ne signifie pas qu'il ait commence sans mémoire. Bien que nul ne sache peut-être jamais quels sentiers il a traversés, en passant d'une génération à l'autre, des catholiques aux protestants, du théâtre latin au théâtre allemand et slovaque, de ville en ville, d'une région à l'autre. Nous pouvons supposer qu'il existait de vieux manuscrits et des textes imprimés (certains sont connus, d'autres restent a découvrir - il faudrait regarder dans les bibliothèques de Budapest, Vienne) et que, pendant de longues soirées, des anciens racontaient aux jeunes des histoires. Tout cela a une époque, où il y avait plus de temps pour tout. Beaucoup de documents sont là pour témoigner de l'activité de comédiens ambulants qui jouaient sur les places des marchés et, aux carrefours des grandes routes, partout sur ce territoire et de tout temps. Plus tard, des troupes étrangères y effectuèrent des tournées, surtout des troupes italiennes et des troupes allemandes et par la suite, à partir de la fin du XIXe siècle, quelques troupes tchèques et surtout des troupes hongroises. C'était à une époque, où le théâtre en Hongrie était déjà très bien organisé et subventionné par l'Etat, dans le but de magyariser les nations non magyares. Rien d'étonnant alors à ce que les Slovaques aient commencé, à partir de 1830, a donné à leur propre théâtre une fonction défensive et c'est aussi dans ce sens qu'ils le cultivaient.

Toute la littérature dramatique slovaque de cette époque fut condamnée a être représentée d'abord dans des théâtres amateurs à l'instigation de grands noms dont les plus importants sont : l'auteur satirique Jan Chalupka, l'historien Jonas Zaborsky qui s'est caractérisé par son esprit critique et l'auteur de comédies Jan Palarik, théologien catholique aux idées libérales. De dures représailles, menées de Budapest, empêchèrent de fonder des théâtres et des écoles slovaques, ainsi que des associations et des musées. Toute tentative dans ce sens devint l'objet de persécution et de liquidation. L'institution culturelle de la nation slovaque, Matica slovenska, qui fut créée à partir d'une collecte dans la ville de Martin en 1863, fut interdite des 1875. Alors qu'ailleurs en Europe, des conditions plus démocratiques permirent aux habitants d'ériger leur propre théâtre national et de créer tout un réseau de troupes professionnelles, en Hongrie, les Slovaques essayèrent de sauver au moins quelques drageons de leur propre culture.

Une autre collecte nationale, organisée à l'époque de la plus grande répression, permit en 1889 de fonder à Martin un centre culturel composé de quelques locaux, d'un atrium et d'une grande salle de réunion. Ce centre obtint le nom simple de Dom (Maison). A l'origine, il aurait dû s'appeler Narodny dom (Maison nationale), mais les autorités hongroises l'avaient interdit. Cette Maison permit au théâtre slovaque de s'affirmer. L'un des meilleurs ensembles amateurs : le Ch'ur slovaque (Slovensky spevokol) formé en 1872 et dont le rôle fut de suppléer au Théâtre national qui n'existait pas, s'y produisait régulièrement, créant ainsi des conditions préalables à un futur théâtre slovaque professionnel. A Martin, capitale officieuse de la Slovaquie, on organisait chaque année des rétrospectives et des concours d'art dramatique, ainsi que des rencontres de personnalités éminentes. Au XIXe siècle, les activités des théâtres amateurs se répandirent successivement sur tout le territoire de la Slovaquie, et elles ne purent jamais être complètement éliminées par la politique hongroise, si répressive fut-elle.
A suivre...

© Milos Mistrik 02/12/99 pour La Revue du Spectacle